On ne badine pas avec l'Infini by Henri Roorda

On ne badine pas avec l'Infini by Henri Roorda

Auteur:Henri Roorda [Roorda, Henri]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: Chroniques
Éditeur: Les Bourlapapey bibliothèque numérique romande
Publié: 2014-12-09T14:02:03+00:00


LES VOYAGES

Je n’ai presque jamais voyagé ; et en vieillissant, j’éprouve de moins en moins le désir de partir.

De temps en temps, des personnes instruites me disent : « Comment ?… Vous n’avez pas vu Florence ?… Vous n’avez pas vu Venise ?… Vous n’avez pas vu Constantinople ?… Il faut avoir vu ça. Les livres ne suffisent pas pour donner à l’esprit une éducation complète. »

Oh ! C’est absolument vrai. Les livres n’ont pas le pouvoir de nous rendre très intelligents. Mais je me hâte d’ajouter que les voyages ne semblent pas être beaucoup plus efficaces que les livres. Plus d’une fois, j’ai rencontré des gens qui, après avoir exploré des pays divers, étaient aussi bêtes que le jour où ils sont partis.

À l’ordinaire, les voyageurs qui nous parlent de ce qu’ils ont vu sont prodigieusement ennuyeux. D’abord, ils disent tous la même chose, car ils ont tenu à voir « ce que tout le monde doit avoir vu ». Ils ont séjourné à Rome, à Naples, à Florence, en Grèce, en Palestine, en Espagne, en Bretagne, en Écosse et en Norvège ; et ils rapportent de là-bas des souvenirs livresques, des « impressions » conformes au modèle. Moi aussi, quand j’aurai des loisirs, je veux rédiger mes « Impressions d’Orient ». Après ce qu’on a écrit sur ce sujet, cela ne doit pas être difficile.

Les eaux du Nil, les eaux de la mer Ionienne, les eaux de la Baltique, les eaux des lacs écossais : toutes les eaux sont les mêmes pour le voyageur qui, penché sur elles, y cherche sa propre image. Sylvestre aime à énumérer les lieux innombrables où il a passé. Ce qui pour lui caractérise Lisbonne, c’est qu’il y est allé. Grenade est une ville moins intéressante parce qu’il n’y est pas allé.

Et puis, un paysage est un état d’âme. Voilà pourquoi je ne tiens pas à visiter des pays nouveaux : je sais d’avance quelle serait mon émotion devant les paysages dont mes amis me parlent. Une fois, je suis allé à Marseille. Quinze ans plus tard, je me rappelle encore avec regret les admirables bouillabaisses que j’ai mangées là-bas chez Basso et chez Pascal. Entre deux bouillabaisses, on m’obligeait à aller admirer de belles églises, dont je n’ai gardé aucun souvenir. Pour le barbare que je suis, toutes les belles églises se ressemblent. Je suis sensible à leur beauté, mais je ne l’analyse pas.

Les humains m’intéressent beaucoup plus que les vieux monuments. Un jour, un Marseillais me vola cent sous avec tant de naturel, avec tant d’aisance, que je ne lui en ai pas voulu. Il avait une bonne figure cordiale. On rencontre, dans le Midi, des privilégiés qui n’ont pas la notion du bien et du mal. Il y a sans doute autant de voleurs dans le Nord que dans le Midi ; mais les gens du Nord ont reçu une solide éducation morale et lorsqu’ils font le mal, leur conscience n’est pas absolument tranquille.

Je n’ai jamais pu contempler un être humain avec une absolue indifférence.



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